Une fleur remarquable
Erythronium dens canis est une plante vernale peu commune, mais localement abondante dans l’avant pays savoyard et le Bugey notamment. Les plantes vernales profitent de l’absence du feuillage des arbres pour arborer leurs pétales et attirer les pollinisateurs dans les sous bois, chose qui sera plus difficile quand le feuillage les cachera. C’est le cas par exemple des jonquilles sauvages ou des anémones sylvie (Anemone nemorosa) qui poussent en sous bois.
La beauté de ses fleurs capte notre attention. Il existe d’ailleurs des cultivars proposés à la vente. La récolte des fleurs est réglementée selon les régions. La plante est inscrite sur la liste rouge nationale (lien MNHN). La réglementation actuelle dans le département de la Savoie est reglementée par cet arrêté de 2021.
La fleur sert de logo au syndicat intercommunal du Vuache, une montagne particulièrement riche en stations.
Le pédoncule porte des fleurs roses à violettes étonnantes de 2 à 3 cm de longueur dotées de six « tépales » (ce terme regroupe les pétales et sépales similaires). Les étamines de couleur bleutée sont bien visibles et le stigmate blanc les dépasse notablement, limitant les probabilités d’autofécondation. Cette apparence sous forme de tépales est relativement courante chez les fleurs de la famille des Liliaceae, par exemple chez les lys ou les fritillaires.
L’aspect retourné de la fleur n’est pas sans rappeler celui des cyclamens par exemple, qui pourtant ne sont pas de la même famille et comportent 5 vrais pétales. Les nervures parallèles des Erythronium trahissent d’ailleurs leur appartenance au clade des monocotylédones, un caractère que n’ont pas les feuilles des cyclamens. Les feuilles sont elles mêmes assez remarquables, avec des tâches brunes qui permettent de les distinguer rapidement. Certaines études suggèrent que cette apparence permettrait de guider les pollinisateurs. Cette caractéristique foliaire, recherchée par les horticulteurs, est assez rare dans la nature. On la retrouve chez la pulmonaire officinale, courante également en début de printemps dans l’est de la France.
Les fleurs sont visitées principalement par des hyménoptères (bourdons, abeilles sauvages, andrènes, etc.) ou certains diptères.
Ecologie
La plante affectionne les milieux boisés clairs (chênaies, châtaigneraies, hêtraies) ou parfois des milieux plus ouverts (lisière forestières et landes herbeuses pelouses montagnardes. Elle pousse aussi bien en milieu calcaire que siliceux dans le sud ouest de la France.
Des études semble indiquer que la reproduction par graine n’est pas très efficace, probablement selon l’efficacité de la pollinisation. Les graines possèdent un élaïosome (petite réserve riche en lipide accolée à la graine) qui attire les fourmis et facilite leur dissémination. La violette des bois, en fleur à la même saison, recourt à la même stratégie (petite vidéo démontrant ce fonctionnement).
La dent de chien est un géophyte à bulbe. Cet organe de réserve permet également sa multiplication végétative, comme les « cailleux » des gousses d’ail. Il faut cependant plusieurs années pour que les bulbes se multiplient.
Usages et recherches
Les feuilles de certaines espèces (notamment E. sibiricum, E. caucasicum) ont été consommées crues ou cuites en Mongolie et en Sibérie, de même que les fruits cuits. Au Japon, l’espèce E. japonicum a permis de produire un amidon farineux à partir des bulbes pour produire des pâtes alimentaires. Au Canada, d’autres espèces du genre Erythronium notamment E. albidum étaient consommées par des ethnies amérindiennes.
Selon une étude de 2017 des polysaccharides extraits du bulbe d’E. sibiricum auraient une activité antioxydante, anti-inflammatoire et analgésique. Différentes espèces américaines ont été utilisées par les ethnies amérindiennes à des fins médicinales.
Il existe une vingtaine d’espèces d’ Erythronium dans le monde, la plupart américaines. L’espèce Erythronium americanum a fait l’objet de recherche notamment en ce qui concerne les échanges carbonés entre ces plantes et les érables à sucre (Acer saccharum) via les réseaux mycorhiziens. Des analyses au carbone 14 ont permis de mettre en évidence les transferts de substances nutritives entre E. americanum et les érables, au printemps. Le transfert permettrait aux érables encore dépourvus de feuilles de profiter d’un « boost » de carbone au printemps grâce aux Erythronium et cet échange serait réversible à l’automne, où du carbone serait renvoyé par les érables aux Erythronium via la même réseau mycorhizien.
Références / Sources
Sylvain Lerat, Rachel Gauci, Jean G Catford, Horst Vierheilig, Yves Piché, Line Lapointe : 14C transfer between the spring ephemeral Erythronium americanum and sugar maple saplings via arbuscular mycorrhizal fungi in natural stands Oecologia 2002 Jul;132(2):181-187 (lien)
Guitian P., Medrano M., Guitian J. Seed dispersal in Erythronium dens-canis L. (Liliaceae): variation among habitats in a myrmecochorous plant. Plant Ecology 169: 171-177 (2003). (lien)
Kasimu R., Chen C. Xie X., Li X. Water-soluble polysaccharide from Erythronium sibiricum bulb: Structural characterization and immunomodulating activity. Int. J. Biol. Macromol. 2017 Dec: 105 (Pt 1) 452-462 (lien)